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Mon public c'est la personne qui est à de moi
 
entretien de Mounir Fatmi avec Michèle Cohen Hadria, janvier 2002

michèle cohen hadria : Tu as préféré que nous fassions une interview, plutôt qu'un texte présentant ton travail lié à l'exposition - mais pas seulement à l'exposition - dans le quartier du Val Fourré à Mantes la Jolie. Ton travail est tendu entre deux pôles : celui d'une pédagogie libre proposée aux gens de cette banlieue réputée difficile, et celui de ta création personnelle d'artiste nourrie de ces relations très importantes pour toi.
mounir fatmi : Oui, car un texte, au fond, me semblait moins adapté à la situation dont nous allons parler. L'idée était plutôt que ce catalogue ne soit pas limité à l'exposition, ni exclusivement réservé au milieu de l'art, mais qu’il se destine à la population du quartier le Val Fourré afin de mieux leur expliquer ma démarche, puisque c'est avec eux que je travaille, et que la plupart se sont souvent demandés ce que je fais ici. Le travail entrepris avec eux renvoie à toutes mes expérimentations de 1999 à 2002 allant de ma vidéo "Les autres, c'est les autres", jusqu'à Ovalprojet. Je voudrais aussi qu'ils comprennent les raisons de mon installation dans "leur" quartier et que cette interview puisse apporter des réponses à des questions auxquelles j'ai été souvent confronté, comme : "Pourquoi le nom du quartier du Val Fourré est devenu le titre de ton projet ?", " Est-ce que ce n'est pas de la récupération ?", " Qu'est-ce que tu viens faire chez nous ? " etc.

Tu dis qu’ils te demandent ce que tu fais et pourquoi, cela signifie-t-il que toi qui, justement, travaille sur le concept de relation à "l'autre" tu leur apparais néanmoins comme "autre" ? Donc, j'ai envie de te demander quels sont tes rapports avec eux et qui sont ces personnes?
Ce sont les habitants du quartier le Val Fourré, la plupart sont très attentifs à mon statut. Cette observation peut aller de mon habitude à acheter mon journal, à celle de mes entrées et sorties du Centre culturel Le Chaplin, à mes conversations avec le coiffeur. Bref, au fait que je suis totalement immergé dans leur quartier, à mon choix de vivre là, d'y avoir loué un appartement, tout cela crée une série de questions qui convergent autour de ma présence parmi eux. Pour moi, c’est un vrai terrain de travail, je n’ai pas non plus la prétention d’avoir des solutions à leurs problèmes, il ne s'agissait pas de faire un discours sur les banlieues sans y vivre. D'ailleurs, tout commence par cette question que l'on me pose : "Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?"... une phrase peut-être banale, mais qui devient vite le moteur de mon travail.

Que leur réponds-tu ?
Si je dis : "eh, bien, je suis artiste", cela crée immédiatement un décalage. Si je dis même que je suis photographe (croyant ainsi me simplifier la tâche), alors ils pensent aux photographes de mariages, c'est même ce qui m'a amené, la semaine dernière, à filmer mon premier mariage marocain dans le quartier. Cette vidéo servira à la fois à un projet d'installation et à un film de souvenir, puisque ici, la photographie ou la vidéo est synonyme de mariage, de fête. Je réalise donc ce film selon leur souhait, puis je négocie pour pouvoir en extraire des images pour mon propre travail à venir. Je ne prononce jamais le mot artiste, finalement c’est comme dans le milieu de l’art contemporain, c’est très péjoratif de dire "je suis artiste".

Existe-il une ligne de démarcation entre tes activités liées au quartier du Val Fourré et celle de ton travail d'artiste à proprement parler, entre ce que tu déploies comme travail dans et pour le tissu social et d'autre part, l'art comme résultante ?
C'est très entremêlé en fait. Il n'existe pas vraiment de ligne de démarcation, je fais même tout ce que je peux pour qu'il n'y en ait pas. Les gens éprouvent ici un vrai problème d'image face à leur ville. Comme tu sais, c'est une banlieue très critiquée, qui a été indexée par les médias français comme "violente, chaude, explosive", etc. Cela leur pose un vrai problème d'image. Certains, lorsqu'ils cherchent du travail, vont même jusqu'à inscrire une autre adresse que la leur, tant ils sont d'emblée stigmatisés comme des casseurs, des "sauvages". Donc les gens en ont assez et ils veulent maintenant contrôler leur image. Aussi, dés qu'ils te voient avec une caméra, ils t'interpellent et te lancent : "C'est pour quelle chaîne de télé ?" En même temps, les images de télévisions de leurs propres pays d’origine qu'ils captent à travers les paraboles ne leur correspondent pas vraiment non plus. Donc, ils se retrouvent sans aucune représentation d'eux-mêmes.
 


 

 

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© Mounir FATMI
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