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Mon public c'est la personne qui est à de moi
 
Ils supportent une "image de trop", celle de violents, d'inadaptés à la société française mais souffrent aussi d'un "pas assez d'image" à travers les télévisions d’origines ?

Exactement. En fait, je pense que l’immigré n’a pas d’image. Ni la perception médiatique française, ni celle de leurs propres pays ne les représentent réellement.

À ce sujet, j'ai relevé une anecdote qui, je pense, t'intéressera. C'est le résultat d'un travail mené par Jean-François Chevrier à l'école des beaux-arts de Paris, lors d'un séminaire accompagnant durant quelques mois l'exposition intitulée "Des Territoires". Une expérience qui se trouve justement comme ton travail au croisement des sciences sociales et de la recherche artistique. C'est une histoire rapportée par l'artiste marocaine, Yto Barrada, qui avec un camarade a organisé à Tanger et à Marseille un laboratoire d'images pour un centre qui se consacre à l'accompagnement de jeunes enfants marocains clandestins, trop jeunes pour êtres jugés ou reconduits au Maroc et qui séjournent donc dans un foyer qui s'appelle "Centre des Enfants Errants". Lorsque, après avoir mené des expériences autour du dessin et de la photographie, centrés sur la représentation de soi ou sur celle du passage d'une rive à l'autre de la Méditerranée pour ces enfants, ces deux artistes ont interrogé les enfants sur le sens de l'appellation du centre, beaucoup ont dit n'y avoir pas pris garde. Ils s'étaient en fait approprié le nom du Centre par le biais d'un lapsus tel que "Centre des Enfants Héros" ou "Centre des Enfants Zéros"... Ainsi, leur représentation d'eux-mêmes oscillait entre "être vraiment quelqu'un" ou... "n'être rien"... Je pense que c'est le même problème pour les gens du Val Fourré pour qui il s'agit soit d'être considérés comme marginaux, délinquants, etc., soit de devenir quelqu'un par rapport à eux-mêmes... Dans le cas de ton projet donc quel sera le rôle joué en leur faveur par les paraboles entre la France et le Maroc ?
Lorsque j'ai tourné à Paris la vidéo "Les autres, c'est les autres", en 1999, le montage et la post-production se sont effectués au Centre culturel le Chaplin. Faute de moyens, le directeur du centre m'avait proposé d’être hébergé dans une famille marocaine qui habite le quartier du Val fourré. Ce que j'ai accepté avec joie. Lors de mon séjour, on y regardait souvent la télévision marocaine. J'ai vite compris qu'il y avait un lien de cette communauté avec la télévision du pays par le biais de laquelle les parents souhaitent que leurs enfants gardent un contact avec la langue, la culture, la religion et les traditions. Ce qui m'a beaucoup amusé, c'est qu'inversement, au Maroc, je me servais de la parabole pour regarder les télévisions étrangères. C’etait la seule manière d’être informé sur ce qui se passait dans le pays, puisque à l’intérieur l’information était inaccessible. La parabole a un rôle de transmetteur qui fait retour comme une boucle, donc il faudrait diffuser au Maroc pour être vu ici. De là est née l'idée d’"OvalProjet". Puis en 2001, il y a eu la rencontre avec le documentariste Laurent Huet, qui a très vite compris l’intérêt du projet et est devenu un vrai complice.    
 
Juste une petite parenthèse : lorsque tu vivais au Maroc, est-ce que le Marocain était représenté par sa télévision et comment ?
Non ! La télévision marocaine ne représente personne, c’est un vrai hôpital pour lavage de cerveau. Comme la plupart des télévisions du monde bien sûr. Mon idée est de concevoir un système d'images qui circulent, qui fassent la "boucle", des images destinées à la communauté des immigrés installés en Europe ou ailleurs et qui par le biais des paraboles reçoit les émissions en provenance de leurs pays. En fait, au Maroc on ne connaît rien sur nos immigrés, on pense seulement qu’ils sont des privilégiés toujours insatisfaits. Moi le premier, lorsque je vivais au Maroc, il me semblait qu'en France, on ne manquait de rien.

Est-ce que ton projet sera présenté dans un programme de télévision au Maroc ?

La vraie expérimentation d’Ovalprojet c’est la diffusion. On tournera des documents dans la perspective d'une diffusion sur les télévisions internationales, qu’elle soit Marocaine, Sénégalaise ou Turque. Tu sais, les médias viennent périodiquement à Mantes la Jolie. Et parmi nos projets, c’est de former une équipe de tournage capable de les suivre et de les filmer. Il s'agira de faire un film sur des médias filmant le Val Fourré. L'enjeu de ce travail est la question télévisuelle. Cela rejoint un peu ce que j'ai fait auparavant au Maroc avec ma peinture que j'effaçais en présence de "témoins" car face à la question de l'effacement ou d'un déni, quel qu'il soit, il est important d'être là, d'être les "témoins" et d'aller jusqu'au bout. Ensuite, l'accent sera mis sur le suivi et la diffusion. 
 
 

 

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© Mounir FATMI
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