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Mon public c'est la personne qui est à de moi
 
S'ils disent que les Français y sont des étrangers, n'est-ce pas que le Val Fourré est "leur territoire", je veux dire, en un certain sens, celui d'une souffrance ?
Oui, mais le pire est que les Français qui habitent ici font partie le plus souvent de la classe la plus démunie et sont aussi "étrangers" par rapport aux Français qui habitent le centre de Mantes la Jolie, ou Paris. L'étranger dans ce sens-là signifie celui qui est en échec, celui qui touche le RMI, celui qui est en marge, celui qui n’a pas réussi une vie sociale. On peut être étrangers aussi dans ce sens-là !
 
Mais lorsque les jeunes brûlent des voitures, ont-ils la conscience de s'exprimer eux-mêmes ? Je pense à un fait qui m'avait intéressée, lorsque José Bové a détérioré un Mac Donald. C'était un geste qui tenait presque de la performance artistique pour moi... Un geste politique, éthique, mais sans doute José Bové savait-il que ce geste avait aussi une portée symbolique.
Oui, mais la seule différence est que José Bové est une "tête d'affiche", un homme des médias. Ces jeunes, non. José Bové porte son image, et il la gère très bien, il sait comment faire le "show". Ces jeunes au contraire ne sont pas un individu mais un groupe. Il n'y a donc personne pour prendre en charge leurs actes, quand il leur arrive de "disjoncter". J'interprète ce fait d'incendier des voitures, comme un moyen de communication, et cela m'a conduit à la métaphore des Indiens d'Amérique. Lorsqu'on voyait les signaux de fumée, chez les Indiens, on savait qu'il y avait message à transmettre. Lorsque je vois à Mantes la Jolie la fumée qui monte dans le ciel, je me dis "Il y a des gens qui souffrent". C'est extraordinaire que des gens qui vivent dans un monde de communication sophistiquée, internet, portables etc., nous envoient encore des messages avec du feu et de la fumée ! et qu'ils soient obligés de brûler des voitures pour dire : "Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas dans votre système".
 
Brûler une voiture et se dire "voilà j'ai réagi" est une chose. C'en est peut-être une autre de revoir le film de cet événement, de l'étudier avec quelqu'un, de prendre conscience que l'on s'est exprimé. Quelque part, et à partir de là, cela pourrait-il avoir l'effet d'une thérapie ...?
Je ne suis pas un thérapeute et les images ne peuvent pas fonctionner comme des médicaments capables de guérir un mal très profond. En fait je me suis aperçu qu'il y a une vraie relation entre le feu, les caméras et les voitures. Les jeunes sont parfaitement conscients qu'incendier des voitures fera bouger les médias. Parfois, les voitures ne sont brûlées qu’en présence des caméras, les médias sont presque complices de cet acte. Cela me rappelle la guerre en Afghanistan où les journalistes paient les soldats de l’alliance du nord pour qu’ils tirent quelques cartouches, et parfois plus. J'appelle ces incendies des "œuvres collectives". Je ne me pose pas non plus en défenseur de la casse et des incendies, évidemment. Mon travail consiste à les amener à ce type de réflexion.
 
Ce que tu vas filmer dans le cadre d’Ovalprojet sera aussi montré dans ton œuvre ?
Ovalprojet est une expérience collective qui me permet de travailler avec les gens et non sur eux. C’est une période très importante dans mon travail où je me pose beaucoup de questions, sur ce que je prends et ce que je suis vraiment capable de donner. Du fait que tout ce qui sera réalisé dans ce cadre m’enrichit et enrichira mon travail. Dés les trois premiers mois passés au Val Fourré j’ai été frappé par le manque de studio photographique dans le quartier. Pour se procurer des pellicules, il faut aller au centre de Mantes la Jolie. J’ai l’impression qu’au Val Fourré, on n'a pas accès à l'image. Alors qu’il y a 96 nationalités, avec leurs fêtes, leurs traditions, leurs coutumes. J’aimerais bien pouvoir ramener quelque chose, et éviter de faire un travail de surface.
 
Quelles sont ces nationalités ?
Il y a des Marocains, des Sénégalais, des Yougoslaves, des Kurdes, des Turcs... autant dire un microcosme du monde ! Le projet "libre-échange" que j’ai commencé en 1999 et qui consiste à déplacer des identités dans le monde, à travers une pratique d'échanges de badges et de prénoms avec les spectateurs, se prête plus que jamais au quartier du Val Fourré.
 
 

 

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© Mounir FATMI
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