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Mon public c'est la personne qui est à de moi
 
 Il y a aussi des images cachées lorsque tu fais des arabesques avec des câbles de télévision que tu as montrés dans l'exposition "L'Objet désorienté" en 1999 au Musée des Arts décoratifs à Paris...
J’avais déjà réalisé une vidéo en hommage à Jackson Pollock sous le titre d’Arabesque en 1997. L’arabesque est une des belles rencontres entre l’art américain et l’art musulman, à travers l’horreur du vide, le all over. Il y a toujours des images cachées si on regarde attentivement l’art musulman, qu’il s’agisse de calligraphie, d’architecture ou d’ornementation. J’aime beaucoup la limite que représente l’image de Dieu. Le fait que Dieu a 99 noms et aucune image, je cherche toujours à me rapprocher de cette image qui n’existe dans aucune imagination.
 
Quels sont ces noms de Dieu énoncés dans le Coran ?
 Il s'agit de quatre-vingt-dix-neuf noms, comme le Miséricordieux, le Tout-Puissant, le Premier, le Dernier, le Seul, l'Unique, le Clément… Je les avais utilisés plusieurs fois dans mes installations. À la biennale de Dakar, je les ai écrits et mis dans des badges collés directement sur le mur. Le jour du vernissage, j’étais vraiment ému de voir les gens les toucher et les embrasser. Grâce à l’aspect religieux de ces noms, l’installation est devenue interactive.
 
Pour revenir au danger de disparition de l'œuvre, tu as montré dans une de tes vidéos que la parole et l'œuvre sont avant tout d'ordre social. Tu rapportes cette expérience d'un roi allemand, je crois, qui avait fait isoler des nouveaux-nés et les a privés de tout contact vocal avec autrui. À la fin, tous les nouveaux-nés sont morts. Le social par la voix, par la parole, était primordial, même chez des bébés qui ne parlaient pas encore, de même, une œuvre, qui ne trouve pas son environnement social, meurt. Est-ce que la vidéo "Qui sont les autres ?" ne serait pas une passerelle où le mot "autre" fait obstacle comme produit d'une représentation, je pense à l'expérience du Val Fourré où tu parles de leur non-représentation, il y a là aussi un certain risque de disparition sociale. La question d'être ou de ne pas être, d'exister ou de ne pas exister pour la communauté marocaine. Un peu comme ces jeunes clandestins qui étaient soit "héros" soit "zéros"...
Plus que toute forme de technologie de communication actuelle ou future, je pense qu’il y a des questions qui fonctionnent vraiment comme moyen de communication avec les autres, et cela n’importe où, au Maroc en France ou ailleurs. Par exemple : La question "est ce que vous avez l’heure ? " ou "est ce que vous avez une cigarette ? " ou "avez-vous du feu ? avec ses trois questions, on peut avoir un premier contact avec n’importe qui dans la rue. C’est vrai que la question : qui sont les autres ? dans la vidéo "les autres c’est les autres" fait obstacle, parce que le mot "autre" fait peur, puisqu’on ne l’associe jamais à soi-même. Ma situation d’immigré me permet cela, d’ailleurs je me suis toujours intéressé à cette situation d’être toujours "entre" deux cultures, deux langues, deux mondes. Mais je pense que la vraie question actuellement est celle d'être dans l'image ou de ne pas y être, d’avoir la possibilité de voir ou de ne pas voir, de recevoir des images ou d'avoir la possibilité d'en diffuser.
 
Quand le récepteur devient aussi l'émetteur ?
Exactement.
 
Les expérimentations autour des télévisions locales t'intéressent-elles ?
Je présente mon travail dans les télévisions internes des prisons, comme la Santé, à Paris, les Baumettes à Marseille, la maison d’arrêt de Metz, j’aimerais aussi utiliser les hôpitaux, les bus. Pour moi, il est toujours important, de pouvoir diffuser mon travail. Mais actuellement je ne veux pas que Ovalprojet devienne une "télévision locale" ni que cela ressemble à un petit club qui fait des images pour lui-même. Ce qui me paraît plus intéressant c’est d'essayer de pénétrer les chaînes de télévisions internationales en proposant des réalisations en fonction de la communauté fidélisée par ses chaînes. Car le problème de créer une télévision locale risque à la longue de devenir stérile. Il faut au contraire ouvrir le local sur le monde, et utiliser ce lien qui existe entre un pays et ses migrants, et vice-versa.

Je pense qu'au Maroc comme ailleurs on parle de la globalisation qui devrait être plutôt la disparition des états au profit d'une mondialisation économique ou "administrée", une surenchère néolibérale du capitalisme et donc de nouveau productrice d'exclusion. À travers ton travail où tu vas chercher des situations comme celles du Val Fourré, difficiles et très marquées je me demande si l'importance de ce qui est local, régional, c'est aussi la "place d'à côté" ou "la personne d'à côté" et si elle ne serait pas ce "reste" qui résiste, au fond, ce quelque chose qui résiste, qui serait là : à côté.

J’aime bien cette réflexion sur le "reste qui résiste" c’est qu’en vérité il y a le monde, et il y a le reste. J’ai toujours fait partie du reste, en tant qu’arabe, africain, musulman et tiers-mondiste. Après avoir posé la question de l’embargo, dans la vidéo Survival signs. En 1998, j’ai reçu un texte critique de mon ami Marc Mercier qui résume bien cette situation : "N’ayons rien de ce que nous pouvons avoir, soyons tout ce que nous pouvons être", ou bien, "L’économie marchande est cannibale, devenons indigestes". Depuis que je me suis installé à Mantes la Jolie, j'ai filmé deux fois les destructions des HLM, des grandes tours. Et je trouve cela très dangereux parce qu’on a le projet de les détruire complètement, j’ai peur qu’un jour on me dise que "ça n'a jamais existé". Je crois que des lieux comme le Val fourré sont des lieux qui conservent beaucoup de choses et les gens nous l'ont déjà montré, même paradoxalement. Les familles marocaines de Mantes la Jolie conservent les traditions des années 60-70 que le Maroc a commencé à oublier.

 

 

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© Mounir FATMI
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