spacer.png, 0 kB
spacer.png, 0 kB
Radio Droit de Cité se souvient de Pierre Bourdieu

Il y a deux ans, Pierre Bourdieu avait été interviewé à RDC avant un débat public au Chaplin.
C’est grâce à l’action que mène l’équipe de RDC (Radio droit de cité) avec l’association “Points cardinaux” que le sociologue avait provoqué un débat exceptionnel au Chaplin en décembre 1999. Bourdieu, totalement étranger au monde auquel il allait être confronté durant trois heures (pour une fois les enseignants du Mantois n’étaient pas seuls au rendez-vous culturel), avait brillé par sa simplicité et sa sincérité.

Un round au Chaplin

Sa venue dans les quartiers avait fait un carton. “Bourdieu, c’est pas Dieu !” avait-on entendu crier dans la salle... Certains étaient venus chahuter un peu l’“intellectuel”, le mot prononcé avait à lui seul provoqué la réaction des jeunes des cités peu réceptifs aux discours universitaires. Bourdieu venu parler des inégalités sociales et de leur reproduction par l’école, entrait de plain-pied dans son champ social d’investigation. Prenant son public à revers, et jouant de la provocation, on se souvient aussi de cette incitation qu’il jetait à son auditoire : “Investissez le champ de la culture... Vous avez intérêt à bosser si vous voulez échapper aux lois de la gravité sociale !”

Politiquement, la salle avait été conquise, acquise aussi avec douceur et humilité... Il avait montré beaucoup d’attention et de respect. Ce fameux “respect”... de quoi plaire aux lascars !”, se souvient Yann Angneroh avec émotion. Les Adile, Saïd, Dominique, Fahim, autres acteurs de cette soirée, partagent ce souvenir.

C’est la ténacité de Points Cardinaux et de David Benichou, journaliste à France-Culture, qui a permis cette interview historique”, poursuit Yann Angneroh. “Je me souviens d’un article paru après dans Libé, qui reprochait à Adil qui avait interviewé le sociologue, le ton de ses questions, façon “NRJ”. Justement, on a bien assumé notre environnement et notre petite culture cette fois-là. Et lui a adapté le langage à la cible”. Pierre Bourdieu, professeur au Collège de France, intellectuel du siècle, s’était soumis aux questions “brut de décoffrage” de la salle, après l’émission de radio. Angneroh se souvient d’une seule question, posée par Adile comme entrée en matière : “La sociologie, à quoi ça sert ?”. “La sociologie est un sport de combat !”, avait-il répondu un peu plus tard au cours de la soirée, un moyen de self-défense en quelque sorte. Pierre Carles en a fait le titre de son film, le seul qui retrace le travail du sociologue le plus connu de la fin du siècle. “C’est en établissant des lois, des régularités relatives aux comportements humains qu’on peut se défendre des idées reçues et du matraquage du discours dominant”, déclarait-il ces jours-ci au micro de R.D.C.
Finalement Bourdieu a changé la radio en ôtant cette image de lascars de notre dos... Depuis, à ceux qui étaient sceptiques, nous avons montré notre capacité à animer un débat local de qualité. Leïla Chahid, représentante de la Palestine en France et Tariq Ramadan ont suivi...” intervient Dominique, le directeur aujourd’hui. L’équipe de R.D.C. a profité du film de Pierre Carles “La sociologie est un sport de combat” dont deux des meilleures scènes, selon la critique, sont les interviews de Bourdieu à la radio R.D.C. et le débat public au Chaplin (le film est d’ailleurs toujours projeté au MK2 Beaubourg à Paris). L’hommage qu’ils rendent aujourd’hui est à “l’homme qui est resté fidèle à sa philosophie et ses préceptes”.

Sa venue au Chaplin suivait les grèves de 1995. Le témoignage de R.D.C. fait aussi écho à celui des cheminots qu’il avait soutenus. Ce sont aussi les prises de positions du mandarin dans la rue qui n’ont jamais rendu très populaire le sociologue auprès des grands médias. Pierre Carles qui avait entamé son documentaire avant la visite de Bourdieu à Mantes subit le même opprobre aujourd’hui pour avoir commis le film “Pas vu, pas pris” qui dénonce la collusion des journalistes nationaux avec les politiques. Le même Pierre Carles, très sollicité cette semaine, n’a accordé qu’une seule interview, à l’équipe d’R.D.C.

Frédéric Antoine, Le Courrier de Mantes, Publié le 30 janvier 2002
 

 

spacer.png, 0 kB
spacer.png, 0 kB

© Mounir FATMI
spacer.png, 0 kB